Une espèce est dite exotique envahissante (parfois appelée « invasive ») lorsqu’elle colonise un nouveau milieu de façon rapide et met en danger la survie d’espèces indigènes (initialement présentes dans ce milieu)1.
Assez peu d’espèces se retrouvent dans cette situation : dans la très grande majorité des cas, elles ne parviennent pas à se maintenir en dehors de leur écosystème d’origine, ou du moins ne prolifèrent pas. Mais si le nouveau milieu leur est plus favorable qu’aux espèces indigènes, elles risquent de se développer aux dépens de ces dernières, par exemple en monopolisant certaines ressources, en exerçant une prédation, en modifiant le milieu, en produisant des toxines, en s’hybridant avec des variétés génétiquement proches…
Concurrence déloyale ?
Cet avantage compétitif peut être procuré par un ou plusieurs facteurs2 :
- l’absence de prédateur : l’espèce exotique étant jusqu’alors absente de l’écosystème, aucune des espèces indigènes n’a évolué de façon à l’inclure dans son régime alimentaire. Elle peut donc se développer sans aucune régulation par la prédation ;
- l’absence de parasite ou de pathogène : de même que pour les prédateurs, les parasites et pathogènes indigènes sont incapables d’infecter l’espèce exotique ;
- un meilleur accès aux ressources : l’espèce exotique trouve dans ce nouveau milieu une ressource (proies, nutriments, eau, lumière) qu’elle exploite plus efficacement que les espèces indigènes ;
- une modification des conditions du milieu : l’évolution rapide d’un facteur extérieur (tel que le climat, une pollution ou la dégradation du sol) fragilise les espèces indigènes, tandis que l’espèce exotique s’accommode mieux de cette situation ;
- une forte capacité de reproduction et de dispersion ;
-
etc.
Les humains, complices de l’invasion
Les phénomènes de migration et de prolifération existent pourtant depuis toujours et font partie des mécanismes de l’évolution : l’arrivée d’une nouvelle espèce bouleverse les équilibres, de nouvelles interactions écologiques se mettent en place tandis que d’autres disparaissent et, à terme, un écosystème inédit se crée3.
Ce qui rend ces phénomènes problématiques à l’époque actuelle, c’est la vitesse à laquelle ils se produisent, sous l’influence des humains notamment, et les effets indésirables qu’ils peuvent avoir sur nos activités ou notre environnement. Un très grand nombre d’espèces profitent de nos déplacements, qu’elles soient introduites volontairement ou ou qu’elles nous accompagnent à notre insu (sous forme de graines sous nos chaussures, par exemple). Cela démultiplie le risque que l’une d’entre elles finisse par atterrir dans un milieu réunissant les conditions nécessaires à ce qu’elle devienne envahissante.
Nous permettons à des espèces très compétitives de se confronter à tous les écosystèmes du Monde, y compris les plus isolés, et répétons l’exercice encore et encore. Ces écosystèmes n’ont pas le temps de s’adapter à toutes les nouvelles venues et, en combinaison avec d’autres facteurs qui les fragilisent, ils perdent davantage d’espèces qu’il ne s’en crée de nouvelles. Les espèces exotiques envahissantes sont ainsi citées comme un des 5 facteurs majeurs de perte de biodiversité.
On ne nait pas exotique envahissante
Toutefois, une espèce n’est pas envahissante par nature, cela dépend du contexte5. Des espèces exotiques envahissantes à un endroit du globe peuvent être au contraire menacées de disparition dans la région dont elles proviennent (c’est par exemple le cas du lapin de garenne, qui a pullulé en Australie mais régresse en Europe). D’ailleurs, certaines espèces peuvent aussi devenir envahissantes dans leur habitat natif, si les conditions du milieu sont modifiées, comme cela s’observe dans les phénomènes d’eutrophisation (accumulation de nutriments pouvant provoquer une croissance excessive de certaines plantes ou algues, avec des conséquences en chaîne sur l’ensemble de l’écosystème).
Les conséquences écologiques sont également variables : l’introduction de nouveaux prédateurs en milieu insulaire peut être dramatique, par exemple, mais d’autres espèces (notamment végétales) viennent aussi occuper des espaces rendus hostiles à leurs concurrentes par l’action de l’Homme (pollutions, altération des sols…).
En ville, c’est avant tout la fragilité de l’écosystème d’accueil qui permet à une espèce de proliférer : dans un milieu diversifié, présentant des populations en bonne santé, des mécanismes de régulation naturels peuvent plus facilement se mettre en place (compétition, prédation, parasitisme…). Ils ne sont pas toujours suffisants, mais simplifient grandement la gestion des espèces exotiques envahissantes.
Enfin, si une action de l’Homme est nécessaire, celle-ci ne doit pas endommager davantage les écosystèmes. L’utilisation de produits phytosanitaires ou l’introduction artificielle de prédateurs ont des effets néfastes sur l’ensemble du système. Ainsi, le texte de la Stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes de 2017 réaffirme entre autres l’importance de maintenir les écosystèmes en bonne santé (Objectif 6) et le fait que lorsqu’une espèce devient invasive, « il est souvent trop tard pour l’éradiquer »6.
En particulier dans les milieux urbains, déjà très déséquilibrés, de telles techniques peuvent s’avérer contre-productives : elles accentuent la vulnérabilité de certaines espèces indigènes, que l’on souhaitaient justement préserver du phénomène d’invasion, avec des réactions en chaîne imprévisibles et dévastatrices. Sur le long terme, les espèces exotiques envahissantes en sortent vainqueurs, profitant de leurs atouts naturels et de la fragilité accrue de leurs compétiteurs.
Une élimination ciblée, mécanique (arrachage – sous réserve qu’il n’y ait pas de risque de propagation par ce biais -, destruction des nids…) et/ou biologique7 (pâturage, attraction des prédateurs naturels…), certes plus coûteuse financièrement, en temps et en personnel, peut constituer une solution plus soutenable face aux espèces exotiques envahissantes en ville.