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Laisser aux plantes le temps de grimper

Perron d'une maison couvert de plantes grimpantes

Nombre de projets immobiliers s’évertuent aujourd’hui à présenter des façades vertes, avec un succès et un intérêt écologique parfois discutables, lorsque cela se fait à grand renfort d’arrosage, d’engrais et de changements réguliers des plants. Pourtant, les bâtiments anciens couverts de vert du trottoirs à la gouttière ne sont pas chose rare, et ces plantes là se débrouillent sans notre aide.

Bien sûr, cela suppose de la patience et de laisser le temps faire son œuvre. Une idée difficilement compatible avec les logiques actuelles du secteur, qui exige que toutes les promesses soient remplies à la livraison : il faut que le bâtiment soit vert à l’inauguration, qu’importe s’il ne le reste pas.

Des sauvages au-dessus de nos têtes

Herbes sauvages poussant sur une toiture
C’est à la mode, tout le monde en parle, chacun en veut : des toitures végétalisées ! Il y a les toitures-vitrines, jardins horticoles bichonnés, qui nous gratifient de leurs ornements, mais au prix d’un arrosage intensif et d’intrants à la pelle. Il y aussi les toitures à pas cher, ces tapis de quelques centimètres que l’on déroule sur place, où germent des graines toutes semblables et qui s’assèchent dès la première canicule.

Et puis il y a celles qu’on laisse faire, qui poussent parfois sans même qu’on leur ai demandé, sur un lit de graviers épargné suffisamment longtemps par notre désir de « propreté ». Les herbes folles y atterrissent au gré du hasard, ne s’y développent que celles qui supportent les conditions ardues des sommets, se contentant de ce qu’apportent la pluie et le vent.

Et comme souvent, il y a quelques originales :

Toiture en chaume au faîtage planté d'iris

Ça broute en ville

Vaches broutant un espace vert devant un pub anglais
Le pâturage urbain est un phénomène qui se développe progressivement en France, grâce à l’impulsion de quelques précurseurs. Reste que la vue d’une vache, d’un âne ou d’un mouton, paissant paisiblement dans un espace vert, est encore un spectacle qui en désarçonnerait plus d’un.

Troupeau de moutons sur un trottoir

Pourtant il y a des lieux, comme ici à Cambridge, au Royaume-Uni, où l’irruption d’un troupeau de bovins à deux pas du centre-ville ne semble pas surprendre qui que ce soit, et surtout pas interrompre l’Happy Hour du pub d’en face. À croire que ce serait une simple question d’habitude ?

Vaches broutant au milieu d'une foule assise dans l'herbe

Le bois mort est plein de vie

Tronc mort dressé à l'arrière d'un bâtiment, au bord du canal
C’est un fait bien connu des forestiers : conserver du bois mort, sous des formes variées – branches mortes portées par un arbre sain, troncs encore dressés, souches, bois mort au sol… – est très bénéfique pour la biodiversité. Un grand nombre d’espèces dépendent de ces sources d’habitats et de nourriture, réparties dans tout le règne du vivant : insectes et autres invertébrés, champignons, mousses, algues, lichens, microorganismes, et même quelques vertébrés, comme des chauve-souris, rapaces et autres rongeurs qui font leur nid dans les cavités de ces arbres.

Par ricochet, ces écosystèmes déjà très riches contribuent à un pan encore plus large de la biosphère, que ce soit par la décomposition du bois qui nourrit le sol, par la pollinisation, en servant de proie ou, au contraire, de prédateur ou de parasite (régulation des populations de ravageurs, par exemple).

Grande souche au milieu d'un espace vert

Malgré tous ses bons offices, le bois mort en général a eu tendance à se raréfier dans les espaces naturels, notamment parce que les modes d’exploitation forestière majoritaires ne favorisent pas un vieillissement suffisant des arbres (dont le bois deviendrait inexploitable), ni le maintien des troncs, souches ou branches mortes sur site.

En ville, la situation n’est pas plus réjouissante, le bois mort étant quasi-systématiquement retiré pour des questions d’esthétique, de « propreté » ou de protection des individus face aux chûtes de branches. Il reste donc un grand chantier à mener pour faire du bois mort un objet familier du paysage urbain, sensibiliser les citoyens sur son importance écologique, voire – pourquoi pas ? – l’employer comme mobilier urbain.

Tronc couché servant de parking à vélos dans un parc

Effacer les frontières

Esplanade de pavés non jointifs et entre lesquelles poussent des plantes
L’aménagement de l’espace public consiste encore bien souvent à poser des limites : un usage, un lieu, chacun de son côté. Les humains, ici, les plantes, là. Vous, ne marchez pas sur la pelouse ; et vous, prière de ne pas pousser entre les pavés.

Mais de temps à autres, la logique s’inverse. Par le jeu des interstices, les démarcations se floutent. Au gré du piétinement des uns, de la vivacité des autres, de façon organique un équilibre mouvant se crée, s’adaptant continuellement à l’occupation du lieu par les espèces, qu’elles soient enracinées ou qu’elles se dressent sur leurs deux pieds.

Des espaces verts à croquer

Potager urbain sur un trottoir, pancartes indiquant "choux rouge frisé" et "potiron"
Certes, nous n’avons pas été habitués à admirer les silhouettes hétéroclites des choux, le port élancé du blé ou les couleurs chatoyantes des fleurs de pomme de terre, d’endive ou d’aubergine. Mais pour changer des pensées et des œillets, certains maîtres d’ouvrage optent pour le paysagisme comestible.

Petit espace horticole sur un trottoirPotager urbain sur un trottoir, pancarte indiquant "jardin aromatique"

Ce choix n’est pas forcément anodin. Parmi les sujets de réticences, se trouve la question de la responsabilité en cas de problème sanitaire, notamment vis-à-vis des pollutions urbaines (qu’elles soient avérées ou soupçonnées). Les difficultés d’entretien, les fruits qui tombent et salissent la chaussée ou la rendent glissante, sont aussi parfois cités comme frein à cette conversion.

Rien d’insurmontable donc, d’autant que les atouts esthétiques, pédagogiques, environnementaux ou sociétaux de tels aménagements n’ont rien à envier au fleurissement plus classique.

Jouer avec le bois

Cabane en bois construite autour d'un arbre
L’éco-urbanisme passe aussi par le choix des matériaux. Jeux pour enfants en métal ou plastique, au sol synthétique et aux couleurs criardes ?

Ou jeux en bois et sol perméable ? C’est sans doute une affaire de goût, ma préférence personnelle allant sans hésitation vers les seconds.

Partager l’espace dans le temps

Terrain de sport en herbe inondé et groupe de canards
Voici un terrain de sport situé en fond de vallon, derrière lequel passe une noue et une petite rivière. Quand vient la saison froide, le niveau de la nappe phréatique s’élève, les sols se gorgent d’eau, des mares font leur apparition… pour le plus grand bonheur de l’avifaune locale.

Est-ce une situation assumée ? Rien n’est moins sûr. Difficile pour un élu de faire accepter à ses administrés qu’un équipement public soit inutilisé pendant plusieurs mois de l’année. Tentante est la solution de remplacer l’herbe et la boue par un revêtement synthétique, disponible en toute occasion.

Terrain de sport en herbe inondé

Pourtant, face aux défis modernes de l’urbanisation (consommation d’espace excessive, risques d’inondation qui s’aggravent, îlots de chaleur urbains…), il serait judicieux de considérer d’un œil plus favorable ce genre de multifonctionnalité subie. Cela ne vaut-il pas la peine de renoncer à certains loisirs (ou de les pratiquer autrement) le temps d’une saison, au vu des bénéfices communs que l’on en retire ?

Construire autour

Bâtiment en construction derrière des arbres
Encore bien souvent, les plantes présentes sur le terrain d’un projet et plus généralement le sol de ce terrain sont vus comme une variable d’ajustement. Il est plus facile techniquement (et donc moins coûteux) d’opter pour la table rase, coupe des arbres et terrassement du site, de façon à s’épargner toute contrainte.

À l’heure où la préservation des sols et la lutte contre les changements globaux s’affirment comme des priorités, les pratiques habituelles posent question. Un sol tassé par les engins de chantier mettra du temps à se restructurer, même s’il est planté, et les nouveaux arbres ou arbustes n’arriveront à maturité qu’après plusieurs dizaines d’années.

Or il existe des contre-exemples, où le chantier, plutôt que d’imposer ses conditions, s’ajuste à ce qui existe déjà sur le terrain. Cela suppose des adaptations non négligeables, mais les bénéfices environnementaux sont, eux aussi, loin d’être anodins.

Et le promeneur traça son chemin

Chemin tracé par le passage des piétons à travers un talus
Satanés passants, qui plutôt que de suivre les itinéraires élégamment tracés, motifs agréables à l’œil et invitation pour les pieds, s’obstinent à couper au plus court et à piétiner l’herbe !

Nous en faisons sans doute tous l’expérience au moins une fois dans notre vie. Que ce soit pas empressement, distraction ou refus des règles tacites, on préfère parfois passer à côté du chemin, au même titre que l’on ignore le passage clouté « mal positionné ».

Passerelle en bois faisant des zig-zag

Et si l’ordre s’inversait ? Si plutôt que d’attendre du quidam qu’il se plie au trajet préconçu étalé devant ses pas, c’était l’espace lui-même qui s’adaptait à la pratique, à mesure que les usagers s’approprient les lieux ?

Chemin tracé par le passage des piétons à travers un talus

Fleurir la demeure des défunts

Tombe couverte de coquelicots en fleur
Les herbes folles, celles qu’on qualifie de mauvaises parce qu’elles ont l’outrecuidance d’échapper à notre contrôle, sont régulièrement perçues comme un signe de négligence. On peut le comprendre aisément, un tel manque apparent d’entretien dans un cimetière peut être douloureux pour les proches de ceux qui y sont enterrés.

Aussi, des solutions courantes pour pallier à ce risque consistent à imperméabiliser autant que possible les sols des cimetières et à asperger ce qui reste d’herbicides. Mais toutes les collectivités n’ont pas suivi cette voie…

D’autres, au contraire, choisissent de laisser l’herbe pousser entre les tombes, de profiter des couleurs chatoyantes des fleurs sauvages et de faire des cimetières des lieux où la vie s’exprime pleinement. Quelques opérations d’entretien ciblées (une tonte régulière des cheminement, par exemple) peuvent suffire à démontrer le soin apporté au lieu.

Des péniches hors les flots

Péniche blanche rénovée en locaux professionnels, ponton et table en bois
Voici un projet original nommé De Ceuvel et situé à Amsterdam. Démarré en 2012, il occupe le terrain d’un ancien chantier naval, mis à disposition de façon temporaire (10 ans) par la commune, le temps que l’avenir du site se précise. Les architectes vainqueurs du concours ont proposé d’y installer d’anciennes péniches inusitées, pour les rénover sous forme de bureaux d’entreprise, accompagnés de quelques activités pour un plus large public (restaurant, buvette, activités culturelles…).

Les photos suivantes ont été prise en mars 2014 et juillet 2016. Et en deux ans, ça a poussé :

Chantier d'une construction en boisTerrasse du café De Ceuvel
Chantier rénovation de péniches et passerelles en boisPéniche à motif brique, rénovée en locaux professionnels

La réversibilité étant une des conditions de cette occupation, l’ensemble des constructions a été conçu pour être démonté (et potentiellement transporté sur un nouveau site) le moment venu. Afin d’éviter au maximum les réseaux, des alternatives ont dû être trouvées : gestion des eaux grises sur place en phytoépuration, panneaux solaires, pompes à chaleur et isolations renforcée pour les besoins de chauffage. Les cheminements surélevés permettent d’éviter le tassement des sols et la végétation doit contribuer, au fil de 10 ans, à réduire la pollution héritée des précédents usages.

Des bâtiments en manque d’anfractuosités

Mur couvert de campanules des murailles
Il est étonnant de voir la diversité de la flore qui se développe sur les vieux murs, profitant de la moindre fissure ou du moindre relief pour s’accrocher à la pierre et intercepter l’eau de pluie qui y ruisselle. Il se forme parfois de véritables sculptures végétales, qui n’ont rien à envier aux façades végétalisées conçues par les humains, et qu’elles surpassent largement en termes de durabilité et d’économie d’entretien !

À l’inverse, les bâtiments modernes aux formes rectilignes et aux parois lisses offrent peu d’opportunités pour l’installation de toute cette verdure. Ne pourrait-on pas revoir nos matériaux et notre architecture pour qu’ils ouvrent, en laissant faire le temps, une possibilité de végétalisation naturelle ? Nous, humains, citadins, serions les premiers à en bénéficier.

Campanules des muraillesCampanules des murailles en fleur

Cela vaudrait aussi pour la faune : nous avons troqué les moulures et les replis qui plaisaient tant aux hirondelles, pour des immeubles en verre où les oiseaux viennent s’assommer…

Nids d'hirondelle accrochés au porche d'une église

Des pelouses, oui, mais avec parcimonie

Groupe faisant un barbecue sur la pelouse d'un espace vert
Nos voisins britanniques sont les champions de la pelouse, verte et rase, sans un brin plus haut que l’autre. Si ce mode de gestion n’est pas le plus favorable à la biodiversité, il peut se justifier par l’usage qui est fait des espaces verts : au premier rayon de soleil, ceux-ci sont instantanément investis par les habitants pour pique-niquer, faire du sport, boire une bière…

Ceci étant, est-il bien nécessaire de tondre à ras partout ? Le concept de gestion différenciée offre une perspective intéressante sur le sujet : en étudiant comment ces usages s’organisent dans l’espace et le temps, il est possible de déterminer des endroits d’un espace vert (ou des moments) qui ne requièrent pas un entretien si intensif. Laisser pousser l’herbe par endroit, en plus de bénéficier à la biodiversité locale, peut servir à protéger les pieds d’arbre et plantations fragiles, à suggérer d’autres appropriations du lieu ou contribuer à l’esthétique du paysage.

Et si pelouse il doit y avoir, autant laisser pousser quelques pâquerettes !

Grande pelouse couverte de pâquerettes