La Trame Verte et Bleue (abrégée en TVB) est un outil d’aménagement issu du Grenelle de l’environnement. Il vise à augmenter la surface occupée par les milieux naturels et semi-naturels, à améliorer leur qualité écologique, à préserver leur diversité et à renforcer leur connectivité. Tout ceci afin de freiner la perte massive de biodiversité, constatée au niveau mondial comme aux échelles locales, et les conséquences qu’elle entraine sur notre propre (sur)vie.

En effet, l’occupation humaine et les transformations du paysage qu’elle génère sont une des principales menaces pour la biodiversité, à travers différents impacts qui s’entrecroisent et se cumulent :

  • la destruction quantitative des surfaces naturelles, remplacées par l’urbanisation ou d’autres activités (agriculture et sylviculture, carrières, mines, production d’énergie, aménagements touristiques ou de loisirs…), réduit de fait la place disponible pour le reste de la biosphère ;
  • la réduction en taille des espaces naturels restant. Certaines espèces ont besoin d’occuper un très large territoire et sont donc menacées par le resserrement progressifs de leur milieu. D’autres ne vivent qu’en plein cœur des espaces naturels, ne supportant pas les perturbations apportées par le rapprochement des milieux modifiés par l’Homme ;
  • l’homogénéisation des paysages, la perte de qualité écologique et la disparition d’habitats spécifiques, dont les occupants naturels ne peuvent pas se passer ;
  • la fragmentation du territoire, qui empêche les êtres vivants de parcourir l’espace à la recherche de ressources alimentaires, de lieux de repos, de partenaires sexuels, d’habitats propices à chaque étape de leur vie ou encore de nouveaux espaces à coloniser.

Une affaire de continuités, mais pas que…

La Trame Verte et Bleue est parfois réduite, à tort, à ce dernier aspect de continuité. C’est en effet une préoccupation relativement nouvelle que de considérer le besoin, pour chaque espèce (et chaque individu au sein de l’espèce), de pouvoir circuler entre différents lieux de vie. Elle remet en lumière les nombreux liens qui s’établissent à travers un territoire entre les écosystèmes et qui garantissent leur pérennité : loin d’être des entités indépendantes, les espaces naturels fonctionnent en constante interaction.

Mais les enjeux quantitatifs, qualitatifs et fonctionnels sont indissociables les uns des autres. Une politique de Trame Verte et Bleue efficace ne peut se résumer à « tracer du vert » pour relier les espaces naturels entre eux. Elle doit intégrer les besoins des différentes espèces en termes de type, de taille, de diversité, de proximité et de surface totale de chaque habitat constituant leur milieu de vie, à chaque moment de leur existence, afin d’établir des priorités sur les espaces à préserver ou à restaurer.

Ces espaces forment ce que l’on appelle des continuités écologiques. Il s’agit d’un ensemble de milieux plus ou moins favorables aux espèces considérées, comprenant à la fois les habitats indispensables à la réalisation de leur cycle de vie et des espaces intermédiaires, moins attractifs mais franchissables pour passer d’un habitat à l’autre. Les continuités écologiques sont définies comme l’association de réservoirs de biodiversité et de corridors écologiques.

Les réservoirs de biodiversité sont des espaces caractérisés par une biodiversité remarquable par rapport au reste du territoire. Ils remplissent une grande partie des besoins des espèces considérées et constituent leurs milieux de vie principaux. Ils jouent un rôle crucial dans la dynamique des populations sauvages. De ces secteurs dépendent le développement et le maintien des populations présentes, il y nait de nouvelles générations susceptibles de migrer vers l’extérieur et de coloniser d’autres milieux favorables, et ils peuvent servir de refuge pour des populations forcées de quitter un milieu dégradé ou détruit. La pérennité des populations sauvages qui y vivent est fortement dépendante de leurs effectifs (eux-mêmes souvent limités par la taille des réservoirs) et des échanges génétiques entre réservoirs. Pour toutes ces raisons, les réservoirs de biodiversité doivent fonctionner sous la forme d’un réseau, entre lesquels des individus peuvent se déplacer.

Les corridors écologiques sont des espaces reliant les réservoirs, plus favorables au déplacement des espèces que la matrice environnante. Les milieux qui les composent ne sont pas nécessairement homogènes, continus, ni même activement recherchés par les espèces qui les traversent. La qualité principale qui détermine leur rôle de corridor, pour une espèce donnée, est la capacité des individus à les traverser pour relier deux réservoirs, avec un effort de déplacement minimal et une chance de survie maximale. On parle de perméabilité des espaces, ou au contraire de résistance, pour décrire la facilité avec laquelle ils sont parcourus.

Schéma représentant les motifs de déplacement des espèces

Les déplacements nécessaires au cycle de vie varient grandement selon les espèces, bien sûr, mais aussi selon les périodes de leur vie, d’une saison à l’autre et même au cours de la journée. L’accessibilité des ressources, la composition du paysage, l’évolution des besoins dans le temps sont autant de paramètres qui conditionnent ces mouvements.

Continuités pour certains, obstacles pour d’autres

Schéma représentant les échelles de continuités écologiques selon différentes espèces

La TVB représente un système de réseaux vivants, emboîtés et entrecroisés. Par exemple, une bande de terrain boisé, jouant le rôle de corridor pour des espèces de milieux forestiers, peut au contraire être un obstacle pour celles qui préfèrent les milieux ouverts (espaces agricoles, prairies naturelles…) et évitent de traverser ou de survoler la forêt. En revanche, elle peut aussi constituer un habitat en tant que tel pour d’autres espèces. À leur échelle, même un seul arbre ou un lopin de terre hébergent déjà un nombre immense d’invertébrés et de micro-organisme, constituant déjà pour eux un territoire au sein duquel se déplacer.

La qualification d’un espace comme réservoir de biodiversité ou comme corridor dépend de l’échelle à laquelle on se place et des espèces auxquelles on s’intéresse. Notamment, les corridors écologiques n’ont pas pour seule fonction d’être des voies de passage pour quelques êtres vivants. Ils peuvent également fournir des ressources essentielles à d’autres espèces et constituent donc pour ces dernières des habitats à part entière. Les corridors peuvent être discontinus pour des espèces susceptibles de franchir les obstacles (oiseaux, insectes volants, plantes dont les fruits ou les graines circulent sur de longues distances…). Ils peuvent être composés d’une mosaïque de milieux naturels ou semi-naturels différents, si ces derniers ne constituent pas un obstacle pour les espèces considérées. Ils peuvent servir d’habitats « relais », assurant les besoins d’un individu pendant un temps court et lui permettant ainsi de parcourir de plus grandes distances.

On parle de fonctionnalité d’un corridor pour désigner la diversité d’espèces qui peuvent l’emprunter. Ce concept permet de comparer deux corridors similaires (c’est-à-dire susceptibles de permettre le passage des mêmes espèces), un même corridor au cours du temps, ou en fonction de différents scénarios d’évolution. La fonctionnalité d’un corridor dépend de sa largeur, de la densité de végétation, du caractère naturel ou artificiel du sol, de la diversité d’habitats, des obstacles qui le traversent, etc. À noter qu’un corridor jugé fonctionnel pour une espèce donnée ne signifie pas que cette espèce l’empruntera de manière systématique : le tracé de la Trame Verte et Bleue doit donc, dans sa mise en œuvre politique, être adapté à mesure que des indices viennent corroborer ou non les trajets pressentis.

La fonctionnalité des corridors est notamment limitée par la présence d’éléments fragmentant. Il s’agit de secteurs infranchissables pour les espèces considérées. Ces obstacles peuvent être de différentes natures et combiner plusieurs aspects : une barrière à proprement parler, qu’elle soit naturelle (cours d’eau) ou artificielle (clôture) ; un lieu présentant un risque élevé de mortalité (collision avec un véhicule ou un bâtiment, exposition aux prédateurs, intoxication par des pesticides, risque de noyade…) ; un milieu répulsif ou trop étendu pour être traversé (grand espace agricole, ville, milieu ouvert ou au contraire très dense, selon les préférences de chaque espèce).

Le concept de Trame Verte et Bleue est donc intrinsèquement liées aux espèces étudiées, à leurs affinités et à leurs capacités de déplacement : on s’appuie généralement sur la notion de « guilde », c’est-à-dire un groupe d’espèces ayant des besoins et des comportements assez semblables. On distingue par exemple des guildes associées aux espaces boisées, aux milieux herbacées, aux zones humides, aux cours d’eau, etc. auxquelles on fait correspondre des sous-trames. Pour chaque guilde, une ou plusieurs espèces servent de référence et l’on fait l’hypothèse que si elles peuvent traverser un milieu, les autres espèces de cette même guilde le peuvent également.

L’identification des sous-trames propres à chaque guilde, et leur pondération selon leur état écologique, leur fragilité, le nombre d’espèces concernées, la sensibilité de ces dernières… constituent en somme cette hiérarchisation spatiale des secteurs et habitats à protéger, que l’on appelle Trame Verte et Bleue.

Péniche sur un canal au milieu de la campagne anglaise

Selon qu’une espèce est terrestre, aquatique, souterraine ou volante ; qu’elle apprécie l’humidité ou la sécheresse, la luminosité ou l’ombre, les températures hautes ou basses ; que sa nourriture se trouve au sol ou en hauteur, en milieu forestier ou en terrain dégagé… les composantes du paysage joueront à son égard tantôt le rôle de réservoir, de corridor ou d’obstacle.