La phytoépuration, la phytoremédiation et la mycoremédiation sont des procédés de traitement des eaux et des sols, au moyen de végétaux (phyton en grec ancien) ou de champignons (mukês), alternatifs aux dispositifs industriels. Ils appartiennent au champ plus large de la bioremédiation, ensemble des techniques reposant sur l’usage d’écosystèmes vivants pour la dépollution des sols, des eaux ou de l’air.

Ces méthodes s’appuient sur la capacité de certaines plantes ou champignons, et des nombreux micro-organismes qui les accompagnent1, à absorber des molécules nocives ou à les dégrader chimiquement. De telles propriétés sont propres à chaque espèce : les écosystèmes que l’on sélectionne dépendent donc des substances polluantes à éliminer. Ainsi, la Moutarde indienne est connue pour absorber des métaux lourds (plomb, zinc, cuivre), des lentilles d’eau peuvent capter les pesticides, les massettes s’attaquent à certains résidus médicamenteux (traitements antileptiques), les hydrocarbures peuvent être décomposés par des champignons saproxyliques (qui poussent habituellement sur le bois et s’en nourrissent), … Le tournesol a même été utilisé pour diminuer la concentration d’éléments radioactifs dans les sols de Tchernobyl2.

Les phénomènes à l’œuvre dans la phytoépuration

Bien que les définitions se chevauchent, le terme de phytoépuration est principalement employé pour désigner le traitement d’une eau peu polluée, avant son retour au milieu naturel3. Elle fait appel à des plantes aquatiques ou de milieux humides comme les roseaux, les phragmites, la menthe aquatique, etc.

Leur action repose sur plusieurs mécanismes physiques et chimiques associés :

  • la filtration de l’eau par le système racinaire ou les parties submergées. Cela permet de retenir les plus grosses particules dans les sédiments ou le sol le temps qu’elles soient dégradées ;
  • la précipitation (formation de particules à partir de substances dissoutes) et la sédimentation (dépôt des particules vers le fond de l’eau, par action de la gravité). De même que pour la filtration, ces phénomènes évitent que les polluants s’écoulent trop rapidement vers les cours d’eau ;
  • la sécrétion par les plantes et micro-organismes de molécules réagissant chimiquement avec les polluants, formant des substances moins nocives ou plus facilement assimilables par le milieu ;
  • l’absorption de certains polluants par les racines et leur stockage dans les tissus de la plante ;
  • la dilution des contaminations ponctuelles, dont la diffusion vers le milieu naturel est étalée dans le temps. En diminuant la concentration des substances polluantes, leur toxicité directe pour la faune et la flore est réduite, et leur dégradation facilitée ;
  • l’exposition prolongée à d’autres facteurs de l’environnement, comme le rayonnement solaire, qui contribuent à décomposer certaines molécules.
Bassins de lagunage pour la phytoépuration, dans un espace vert

Exemple de phytoépuration par lagunage. L’eau à traiter s’écoule lentement par gravité dans une série de bassins, dont la configuration (profondeur, planté ou non…) permet d’éliminer successivement différents types de polluants.

Un procédé adéquat pour des eaux peu polluées

Bassins plantés de roseaux pour la phytoépuration

Exemple de phytoépuration sur lit de roseaux. Le substrat dans lequel sont plantés les roseaux et le système racinaire de ceux-ci forment un filtre à travers lequel passe l’eau à traiter.

La phytoépuration peut être utilisée pour traiter les eaux domestiques dites « grises », les moins polluées (provenant du lavabo, de la salle de bain…), éventuellement celles dites « noires » (eaux des toilettes)4. Elle peut se présenter sous la forme de filtres ou de lagunages, avec généralement une série de bassins plantés dans lesquelles l’eau séjourne plusieurs jours, le temps que les écosystèmes qui y vivent fassent leur œuvre. Ainsi les roseaux sont efficaces contre les métaux lourds et les dérivés de détergents, la menthe aquatique capte le zinc, les callitriches retiennent des pesticides… Cette technique permet notamment d’éviter la saturation des stations d’épuration, en réduisant les volumes à prendre en charge. En revanche, elle ne convient pas pour les eaux usées les plus polluées (effluents industriels notamment), qui doivent être acheminées vers des installations spécialisées.

La phytoépuration est aussi adaptée à la gestion des eaux pluviales, qui se chargent en polluants en traversant l’atmosphère et par le ruissellement sur les surfaces urbaines imperméables (chaussée, parking…) ou à travers des espaces agricoles traités par des produits phytosanitaires. Intégrée à des aménagements de transport de l’eau (noues, fossés), de rétention et d’infiltration, la phytoépuration permet de réduire la saturation du système d’assainissement des eaux et d’éviter les débordements lors de précipitations importantes.

la phytoremédiation : des stratégies variables selon le type de polluant

On parle plutôt de phytoremédiation lorsqu’il s’agit de nettoyer des sols contaminés par une pollution diffuse (métaux lourds, hydrocarbures…). De nouveau, plusieurs mécanismes peuvent entrer en jeu.

Des espèces végétales qualifiées d’hyper-accumulatrices sont réputées pour absorber certains de ces polluants en grande quantité : le Tabouret calaminaire, par exemple, apprécie particulièrement les sols contenant du zinc5. Les contaminants absorbés par leurs racines transitent dans la plante et sont tantôt libérés sous une forme volatile (cas du sélénium, du mercure…), tantôt stockés au sein d’un organe (les racines, les tiges, les feuilles…). Ce procédé de phyto-remédiation consiste ainsi à transférer la pollution vers un autre compartiment : l’atmosphère ou les tissus végétaux, plus faciles à gérer que le sol.

Ce déplacement n’est pas sans risque et suppose des précautions supplémentaires. Les éléments relâchés sous forme gazeuse risquent en effet de constituer une pollution atmosphérique dangereuse pour la santé, surtout en cas de forte concentration locale. Par ailleurs, au terme de leur croissance, les végétaux sont contaminés à leur tour : ils doivent alors être traités dans des établissements spécialisés et non simplement décomposés sur place ou compostés. Des études sont toutefois en cours pour estimer le potentiel valorisable de cette nouvelle ressource de métaux, certaines espèces pouvant générer un rendement intéressant pour l’industrie, comme dans le cas de l’Allysum murale.

D’autres polluants sont susceptibles d’être modifiés par les substances que sécrète les micro-organismes ou végétaux cultivés. C’est par exemple le cas des hydrocarbures, dégradés par des champignons saproxyliques6. Ceux-ci ont la capacité – rare dans le monde du vivant – de produire des enzymes qui décomposent les fibres les plus résistantes du bois (d’où leur nom : sapro- « putréfaction » et xyle- « le bois »). Les hydrocarbures ayant une structure moléculaire semblable, ils peuvent également être « découpés » par ces enzymes, jusqu’à être réduits en éléments simples assimilables par d’autres organismes. Si cette technique fonctionne bien en laboratoire, elle est toutefois imparfaite sur le terrain, du fait du manque de contrôle sur les conditions de développement des champignons.

Un autre intérêt du système racinaire des plantes peut simplement consister à retenir les éléments polluants sur place, afin d’éviter leur dissémination dans le milieu. Dans ce cas, la modification physique et chimique du sol par les végétaux et les microorganismes associés conduit à réduire la liberté de mouvement des molécules visées. Celles-ci ne sont pas éliminées, mais ce procédé évite que la contamination se propage jusqu’à d’autres écosystèmes plus fragiles.

Dessin des mécanismes de dépollution des sols par phytoremédiation

Phytoépuration et phytoremédiation sont des méthodes d’ingénierie écologique en plein développement. Leurs résultats ne sont que partiels, difficilement prévisibles et prennent un certain temps, ce qui n’en fait pas des solutions appropriées à toutes les situations. Toutefois, leur efficacité est avérée et tend à s’améliorer à mesure que l’on comprend mieux les mécanismes à l’œuvre.

Par rapport aux alternatives industrielles (station d’épuration, décharge, centre de traitement spécialisé…), elles présentent des avantages très nets : un investissement de départ faible et un coût de fonctionnement modéré7 ; une mise en œuvre simple, facilement adaptable selon le volume à traiter ; un traitement directement sur site, sans transport des matériaux pollués ni travaux importants (contrairement à l’installation de réseaux d’assainissement et la construction d’usines de traitement) ; moins d’externalités négatives sur d’autres aspects de l’environnement (urbanisation, consommation d’énergie…) ; la réversibilité des aménagements, qui ne nécessitent pas d’artificialisation lourde du milieu.

Le recours à ces techniques est donc tout-à-fait pertinent, a minima pour traiter les pollutions les plus faibles, ou pour réduire le degré de contamination d’eaux et sols plus pollués, avant leur prise en charge par des moyens classiques.