Lorsque l’on pense à l’Animal en ville, les idées qui viennent spontanément en tête sont en général peu reluisantes : le pigeon, le rat, le cafard… Pourtant, derrière ce cliché bien ancré dans l’imaginaire commun, c’est une véritable arche de Noé qui partage nos espaces de vie. Qu’ils y aient été invités par les humains (on pensera bien sûr aux chats, chiens et autres animaux de compagnie), ou qu’ils nous aient accompagné clandestinement, durant les milliers d’années qui ont vu notre habitat se transformer au gré des civilisations, nombreux sont les animaux qui sont à leur aise dans les espaces urbains.
J’irai dormir chez vous…
Certains y trouvent un milieu partageant des caractéristiques communes avec leur habitat « naturel » : le lézard des murailles et les escargots, qui se glissent entre les pierres de nos murs ; le faucon pèlerin, qui se perche sur nos immeubles pour guetter ses proies ; l’hirondelle, profitant des moulures de nos bâtiments pour construire son nid ; ou encore la chouette effraie, les martres, les araignées, qui trouvent nos greniers à leur goût, pourvu qu’on ne les dérange pas trop. De grandes colonies de chauves-souris se dénichent même un abri de choix dans quelques-uns de nos vestiges abandonnés, comme les tunnels de la Petite Ceinture à Paris1.
Sans oublier la faune du sol (lombrics, cloporte, scarabées, collemboles, acariens, fourmis, mille-pattes, protozoaires, nématodes, larves diverses…), qui survit tant bien que mal sous les parterres de fleurs et au pied des arbres.
Habitats urbains, certes, mais habitats quand même
D’autres se contentent de nos jardins, espaces végétalisés et parcs, écrins de nature au sein d’un milieu urbain hostile. Saviez-vous que le hérisson, le goéland, la fouine ou encore le héron séjournaient à la capitale ? Et le blaireau dans la forêt de Fontainebleau, aux porte de Paris ? C’est sans compter les poissons, crustacés et mollusques qu’hébergent les cours d’eau : saumon, truite, anguille, carpe, brochet, crevette, moule d’eau douce… traversent régulièrement nos villes. Les petits ruisseaux, les mares, les plans d’eau sont aussi le lieu de rassemblement des Amphibiens (tritons, salamandres, crapauds, grenouilles…), comme en témoignent malheureusement les nombreux morts sur nos routes à la période de la reproduction.
Certains, peu exigeants, ont su s’adapter aux conditions particulières que nous avons créées, profitant au passage de quelques avantages bien appréciés. L’absence de prédateurs pour l’écureuil et certains oiseaux2, les températures plus élevées tout au long de l’année pour la fourmi3, la nourriture à volonté pour la myriade d’insectes pollinisateurs (papillons, abeilles domestiques et sauvages, bourdons, syrphes, moustiques, guêpes, quelques coléoptères…). L’adaptation prend parfois des tournures étonnantes, comme ces oiseaux dont la rapidité d’envol à l’arrivée d’un véhicule dépend des vitesses limites de circulation4, ou le moineau et le roselin qui garnissent leurs nids de mégots, la nicotine ayant des propriétés anti-parasitiques5.
De drôles de bêtes
Enfin, il y a les originaux, un peu plus anecdotiques, mais qui font eux aussi partie du paysage vivant de nos villes. Des animaux tolérés pour leur statut sacré, comme la vache en Inde ou le singe à Lopburi (en Thaïlande). Des animaux importés et relâchés : chez nous, la tortue de Floride, la perruche. Des animaux qui s’approchent des zones urbaines et y pénètrent parfois tout en évitant l’Homme, comme le lynx, le raton-laveur et le coyote en Amérique du Nord, le sanglier ou le renard en Europe. Et ceux que l’on pourrait prendre pour des poissons d’avril, comme le kangourou, présent en Forêt de Rambouillet depuis les années 1970.
Les humains serait bien prétentieux de se croire seuls occupants des villes, de considérer l’habitat qu’ils se sont créé comme l’exact opposé de la Nature. Celle-ci y a toujours pris ses marques et installé, tant bien que mal, une foultitude de créatures. Les philosophes Sue Donaldson et Will Kymlicka leur ont même donné un nom : les espèces liminaires, à l’interface entre domestiques et sauvages6.
Et pourtant, la ville continue d’être construite pour les humains et eux seuls, sans une pensée envers leurs voisins à plumes, à poils ou à écailles. Qu’en serait-il si, tout en gardant pour objectif le bien-être des bipèdes, nous avions à cœur de la rendre aussi accueillante que possible pour le reste du monde animal ?